Méditation sur un tableau: le Philosophe de Rembrandt
Rembrandt le philosophe
Voilà un tableau qui figure au Louvre et qui est probablement un des chez d'œuvre les plus ignorés du maître. La facture, la construction du tableau est assez simple, fondée sur le contraste qui a rendu Rembrandt célèbre, le clair-obscur. À gauche la nuit, la pénombre la plus épaisse qu'illumine soudainement, brutalement la lumière qui inonde l'antre du philosophe. Une lumière dorée et chaude qui a les qualités de cette lumière qui précède le crépuscule, cette lumière tant prisée par les cinéastes car elle nimbe les choses et les êtres d'une lueur quasi irréelle. Cette lumière tombe sur un philosophe absorbé et assis. Un philosophe en méditation, en réflexion. Vous remarquerez à sa droite une petite porte menant à quelque cellier ou cave, ouverture condamnée, obscure. Le tableau est divisé par un escalier en colimaçon qui représente avec ses marches le progrès du raisonnement, les étapes de la pensée qui va non vers la lumière, qui ne conduit pas vers un lieu plus éclairé ( comme dans beaucoup de tableaux religieux) mais vers un lieu obscur. Contrairement à la religion la philosophie ne conduit pas à la transcendance , elle a pour ambition et mission d'illuminer l'ignorance, de baigner l'immanence de sa raison. La lumière de la raison éclaire en effet les ténèbres intérieures et l'absence de sens, elle organise et donne vie à un espace jusque là secret. À droite, un serviteur, une servante? Attise un feu bien matériel celui-là. En fait nous avons là le portrait de l'intériorité de la conscience, et une forme, une silhouette à peine visible dans l'escalier, monte-t-elle, descend-t-elle? Trois états , trois attitudes philosophiques complémentaires. D'une part la réflexion, représentée par le philosophe assis baignant dans la lumière du jour et de la raison, d'autre part l'action avec le serviteur affairé avec le feu matériel, enfin le cheminement dont la destination est inconnue, drapée de ténèbres mystérieuses. Rembrandt jette ici tout ce qu'il pressent de l'activité philosophique qui n'est pas éloignée de l'activité du peintre, de la sienne. La philosophie n'est pas pure spéculation, pure abstraction, elle s'efforce de trouver une application et un sens dans le réel, on ne fait acte de philosopher non pas pour jeter des idées en l'air, mais pour donner du sens à cette réalité. Le philosophe , mis à part sa barbe blanche est coiffée et costumé comme le peintre. Peindre c'est laisser la lumière toucher les choses et les illuminer, philosopher c'est éclairer le sens et révéler la vérité là où les voiles et l'épaisseur de l'ignorance ou de la doxa couvraient nos yeux. Comme dans l'allégorie de la caverne chère à Platon ou dans une demeure souterraine, en forme de caverne, des hommes sont enchaînés. Ils n'ont jamais vu directement la lumière du jour, dont ils ne connaissent que le faible rayonnement qui parvient à pénétrer jusqu'à eux. Des choses et d'eux-mêmes, ils ne connaissent que les ombres projetées sur les murs de leur caverne par un feu allumé derrière eux. Des sons, ils ne connaissent que les échos. « Pourtant, ils nous ressemblent »[1].
Que l'un d'entre eux soit libéré de ses chaînes et accompagné de force vers la sortie, il sera d'abord cruellement ébloui par une lumière qu'il n'a pas l'habitude de supporter. Il souffrira de tous les changements. Il résistera et ne parviendra pas à percevoir ce que l'on veut lui montrer. Alors, Ne voudra-t-il pas revenir à sa situation antérieure ? S'il persiste, il s'accoutumera. Il pourra voir le monde dans sa réalité. Prenant conscience de sa condition antérieure, ce n'est qu'en se faisant violence qu'il retournera auprès de ses semblables. Mais ceux-ci, incapables d'imaginer ce qui lui est arrivé, le recevront très mal et refuseront de le croire : « Ne le tueront-ils pas ? »[2].
Ainsi donc du philosophe et du peintre qui doivent faire face à la lumière, tremper leur yeux et leurs encres dans cette lumière qui n'est plus seulement celle des choses telles qu'elles nous apparaissent filtrées par les sens, mais qui fait que des sens nous découvrons le vrai sens de ce monde.
Une clef de compréhension de l'allégorie est fournie par Socrate lui-même dans le livre VII de La République : « […]cette remontée depuis la grotte souterraine jusque vers le soleil ; et une fois parvenu là, cette direction du regard vers les apparences divines[…] voilà ce que toute cette entreprise des arts que nous avons exposé a le pouvoir de réaliser. » (532c). Il s'agit donc de passer de l'opinion (fournie par les sens et les préjugés) à la connaissance de la réalité intelligible des Idées qui constitue pour Platon la seule vraie réalité. D'où cet idéalisme platonicien qui sera par la suite fortement critiqué.
Trois états, trois champs d'action philosophique, la réflexion, l'action et l'exploration-introspection. L'absence de mobilier, l'absence d'encombrement, une forme d'austérité, d'ascèse, un lieu qui respire l'économie, nulle abondance, de déballage, aucun tape-à-l'œil. Le tape-à l'œil c'est la roue du paon, c'est l'ornement, c'est l'accessoire, anatomie de la lumière, étude de la lumière, une chambre noire que la lumière traverse, touche, transfigure.
Pierre Turlur, janvier 2015.
Voilà un tableau qui figure au Louvre et qui est probablement un des chez d'œuvre les plus ignorés du maître. La facture, la construction du tableau est assez simple, fondée sur le contraste qui a rendu Rembrandt célèbre, le clair-obscur. À gauche la nuit, la pénombre la plus épaisse qu'illumine soudainement, brutalement la lumière qui inonde l'antre du philosophe. Une lumière dorée et chaude qui a les qualités de cette lumière qui précède le crépuscule, cette lumière tant prisée par les cinéastes car elle nimbe les choses et les êtres d'une lueur quasi irréelle. Cette lumière tombe sur un philosophe absorbé et assis. Un philosophe en méditation, en réflexion. Vous remarquerez à sa droite une petite porte menant à quelque cellier ou cave, ouverture condamnée, obscure. Le tableau est divisé par un escalier en colimaçon qui représente avec ses marches le progrès du raisonnement, les étapes de la pensée qui va non vers la lumière, qui ne conduit pas vers un lieu plus éclairé ( comme dans beaucoup de tableaux religieux) mais vers un lieu obscur. Contrairement à la religion la philosophie ne conduit pas à la transcendance , elle a pour ambition et mission d'illuminer l'ignorance, de baigner l'immanence de sa raison. La lumière de la raison éclaire en effet les ténèbres intérieures et l'absence de sens, elle organise et donne vie à un espace jusque là secret. À droite, un serviteur, une servante? Attise un feu bien matériel celui-là. En fait nous avons là le portrait de l'intériorité de la conscience, et une forme, une silhouette à peine visible dans l'escalier, monte-t-elle, descend-t-elle? Trois états , trois attitudes philosophiques complémentaires. D'une part la réflexion, représentée par le philosophe assis baignant dans la lumière du jour et de la raison, d'autre part l'action avec le serviteur affairé avec le feu matériel, enfin le cheminement dont la destination est inconnue, drapée de ténèbres mystérieuses. Rembrandt jette ici tout ce qu'il pressent de l'activité philosophique qui n'est pas éloignée de l'activité du peintre, de la sienne. La philosophie n'est pas pure spéculation, pure abstraction, elle s'efforce de trouver une application et un sens dans le réel, on ne fait acte de philosopher non pas pour jeter des idées en l'air, mais pour donner du sens à cette réalité. Le philosophe , mis à part sa barbe blanche est coiffée et costumé comme le peintre. Peindre c'est laisser la lumière toucher les choses et les illuminer, philosopher c'est éclairer le sens et révéler la vérité là où les voiles et l'épaisseur de l'ignorance ou de la doxa couvraient nos yeux. Comme dans l'allégorie de la caverne chère à Platon ou dans une demeure souterraine, en forme de caverne, des hommes sont enchaînés. Ils n'ont jamais vu directement la lumière du jour, dont ils ne connaissent que le faible rayonnement qui parvient à pénétrer jusqu'à eux. Des choses et d'eux-mêmes, ils ne connaissent que les ombres projetées sur les murs de leur caverne par un feu allumé derrière eux. Des sons, ils ne connaissent que les échos. « Pourtant, ils nous ressemblent »[1].
Que l'un d'entre eux soit libéré de ses chaînes et accompagné de force vers la sortie, il sera d'abord cruellement ébloui par une lumière qu'il n'a pas l'habitude de supporter. Il souffrira de tous les changements. Il résistera et ne parviendra pas à percevoir ce que l'on veut lui montrer. Alors, Ne voudra-t-il pas revenir à sa situation antérieure ? S'il persiste, il s'accoutumera. Il pourra voir le monde dans sa réalité. Prenant conscience de sa condition antérieure, ce n'est qu'en se faisant violence qu'il retournera auprès de ses semblables. Mais ceux-ci, incapables d'imaginer ce qui lui est arrivé, le recevront très mal et refuseront de le croire : « Ne le tueront-ils pas ? »[2].
Ainsi donc du philosophe et du peintre qui doivent faire face à la lumière, tremper leur yeux et leurs encres dans cette lumière qui n'est plus seulement celle des choses telles qu'elles nous apparaissent filtrées par les sens, mais qui fait que des sens nous découvrons le vrai sens de ce monde.
Une clef de compréhension de l'allégorie est fournie par Socrate lui-même dans le livre VII de La République : « […]cette remontée depuis la grotte souterraine jusque vers le soleil ; et une fois parvenu là, cette direction du regard vers les apparences divines[…] voilà ce que toute cette entreprise des arts que nous avons exposé a le pouvoir de réaliser. » (532c). Il s'agit donc de passer de l'opinion (fournie par les sens et les préjugés) à la connaissance de la réalité intelligible des Idées qui constitue pour Platon la seule vraie réalité. D'où cet idéalisme platonicien qui sera par la suite fortement critiqué.
Trois états, trois champs d'action philosophique, la réflexion, l'action et l'exploration-introspection. L'absence de mobilier, l'absence d'encombrement, une forme d'austérité, d'ascèse, un lieu qui respire l'économie, nulle abondance, de déballage, aucun tape-à-l'œil. Le tape-à l'œil c'est la roue du paon, c'est l'ornement, c'est l'accessoire, anatomie de la lumière, étude de la lumière, une chambre noire que la lumière traverse, touche, transfigure.
Pierre Turlur, janvier 2015.
Commentaires
Enregistrer un commentaire